DIX-SEPTIÈME QUESTION : LA PERSPICACITÉ DES ÉCRITURES
Les Écritures sont-elles si perspicaces dans les choses nécessaires au salut qu’elles peuvent être comprises par les croyants sans l’aide extérieure de la tradition orale (agraphou) ou l’autorité ecclésiastique ? Nous affirmons contre les papistes
I. Les papistes, insatisfaits de leurs efforts pour prouver l’insuffisance des Écritures afin d’introduire la nécessité de la tradition, commencèrent à remettre en question leur perspicacité (comme si le sens ne pouvait par personne être déterminé avec certitude sans le jugement de l’Église) afin d’avoir un prétexte pour garder le peuple de leur lecture. Ayant caché la bougie sous un boisseau, ils règnent plus facilement dans l’obscurité.
1.Énoncé de la question.
II. Quant à l’état de la question, observez : (1) La question ne porte pas sur la perspicacité ou l’obscurité du sujet ou des personnes. Car nous ne nions pas que les Écritures sont obscures pour les non-croyants et les non renouvelés, à qui Paul dit que son Évangile est caché (2 Co 4, 3). Nous soutenons aussi que l’Esprit d’illumination est nécessaire pour les rendre intelligibles aux croyants. La question concerne plutôt l’obscurité ou la perspicacité de l’objet ou des Écritures (c’est-à-dire si elles sont si obscures que le croyant ne peut les appréhender pour le salut sans l’autorité et le jugement de l’Église – ce que nous nions).
III. La question ne concerne pas l’obscurité des choses ou des mystères inscrits dans les Écritures. Nous sommes d’accord qu’il y a là de nombreux mystères, si sublimes qu’ils transcendent le plus haut vol de nos esprits et peuvent jusqu’ici être considérés comme obscurs en eux-mêmes. La question concerne plutôt l’obscurité du mode dans lequel ces choses les plus absurdes sont livrées et que nous maintenons sont si merveilleusement accommodées (synkatabasei) par le Seigneur que le croyant (qui a les yeux de son esprit ouverts) par une lecture attentive peut comprendre ces mystères suffisamment pour le salut.
IV. La question n’est pas de savoir si les Saintes Écritures sont perspicaces dans toutes leurs parties de manière à n’avoir besoin d’aucun interprète ni d’exposition de passages douteux (que Bellarmin nous charge faussement et diffamatoirement, posant ainsi la question : « Les Écritures d’elles-mêmes sont-elles aussi claires et intelligibles qu’il n’est nécessaire de les interpréter ? » -VD 3.1, p. 96). Car nous confessons sans hésitation que les Écritures ont leur adyta ( » hauteurs « ) et bathē ( » profondeurs « ) que nous ne pouvons ni entrer ni sonder et que Dieu a ordonné dans le but d’exciter l’étude des croyants et d’augmenter leur diligence ; d’humilier l’orgueil des hommes et de leur enlever le mépris qui pourrait naître de trop grande simplicité. La question ne concerne que ce qui est nécessaire pour le salut, et même pour eux, dans la mesure où il est nécessaire de les connaître et où ils ne peuvent être inconnus sans criminalité. Par exemple, le mystère de la Trinité est clairement livré quant au fait (à hoti) qui est nécessaire, mais pas quant au comment (à pōs), que nous ne sommes pas autorisés à connaître (ce qui n’est pas essentiel au salut). Car, comme dans la nature aussi dans les Écritures, il a plu à Dieu de présenter partout et de faciliter la compréhension de tout ce qui est nécessaire ; mais ceux qui sont moins nécessaires sont si étroitement cachés qu’il leur faut un grand effort pour les faire sortir. Ainsi, outre le pain et la nourriture, elle a ses luxes, ses pierres précieuses et son or sous la surface, qu’elle ne peut obtenir que par un travail infatigable ; et comme le ciel est parsemé d’étoiles plus ou moins grandes, ainsi les Écritures ne sont pas partout aussi éclatantes, mais se distinguent par des lieux plus ou moins clairs et obscurs, comme des étoiles d’une plus ou moins grande grandeur.
V. La question n’est pas de savoir si les choses essentielles au salut sont partout dans les Écritures révélées avec perspicacité. Nous reconnaissons qu’il y a des choses difficiles à comprendre (dysnoēta) et destinées par Dieu à exercer notre attention et nos pouvoirs mentaux. La question est de savoir si les choses essentielles au salut sont révélées quelque part, au moins pour que le croyant puisse, par une méditation étroite, établir sa vérité (car rien ne peut être tiré des passages les plus obscurs qui ne se trouvent pas ailleurs dans les termes les plus simples). Comme le fait remarquer Augustin : « Admirable et sain, l’Esprit a arrangé les Écritures de telle sorte que, par les passages plus simples, il puisse répondre à nos désirs et que, par l’obscurcisseur, il enlève notre mépris » (CI 2.6[FC 2:66 ; PL 34.39]) ; et, « Nous nourrissons dans les lieux ouverts, nous sommes occupés par les obscurs ; là est chassée, ici, la faim » (Sermon 71, « De Verbis Domini, » 7.11[PL 38.450]).
VI. La question ne concerne pas la perspicacité qui n’exclut pas les moyens nécessaires à l’interprétation (c’est-à-dire la lumière intérieure de l’Esprit, l’attention du mental, la voix et le ministère de l’Église, les sermons et commentaires, la prière et la vigilance). Car nous tenons ces moyens non seulement pour être utiles, mais aussi normalement nécessaires. Nous voulons seulement proscrire les ténèbres qui empêcheraient les gens de lire les Écritures comme blessantes et périlleuses et les obligeraient à recourir à la tradition quand ils pourraient se reposer dans les seules Écritures.
VII. La question se pose alors de savoir si les Écritures sont si claires dans les choses essentielles au salut (non pas en ce qui concerne les choses livrées, mais en ce qui concerne le mode de livraison ; non pas en ce qui concerne le sujet, mais l’objet) que sans l’aide extérieure de la tradition ou le jugement infaillible de l’Église, ils peuvent être lus et compris de façon rentable par des croyants. Les papistes le nient, nous l’affirmons.
2.La perspicacité des Écritures est prouvée par Ps. 19:8 ; 119:105 ; 2 P 1:19.
VIII. La perspicacité des Écritures peut être soulignée : (1) de la part de ceux qui proclament cette clarté : » le commandement du Seigneur est pur, éclairant les yeux » (Ps 19, 8) ; » Ta parole est une lampe à mes pieds » (Ps 119, 105) ; » une lumière brillante dans un lieu obscur » (2 P 1, 19) ; » la loi est lumière » (Prov 6, 23). Bellarmin donne sans force sa première objection, à savoir que seuls les préceptes de la loi sont signifiés et non l’ensemble de l’Écriture. Or le mot « loi » signifie souvent toute la parole de Dieu, et les effets (consolation et renouveau) enseignent qu’elle doit être ainsi comprise. Le brillant interlinéaire de Lyranus et Arias Montanus est d’accord avec nous. Pierre appelle incontestablement toute la parole de Dieu une lumière. L’autre objection de Bellarmine est tout aussi insoutenable : bien qu’elle puisse se référer à l’ensemble de l’Écriture, elle ne doit être comprise dans aucun autre sens que celui d’éclairer l’intellect. Les Écritures sont dites lumineuses non seulement parce qu’elles illuminent l’intellect, mais parce qu’elles sont en elles-mêmes lumineuses et naturellement adaptées pour illuminer ceux qui les regardent avec les yeux de la foi. Elles sont donc lumineuses formellement et efficacement car comme le soleil, elles émettent des rayons et s’imposent aux yeux de celui qui les regarde. Enfin, rien ne pourrait être plus stupide. Car cela revient à dire que les Écritures n’illuminent que si elles illuminent, car de la même manière qu’elles illuminent, elles sont comprises.
IX. Dt. 30:11 (où l’on dit que la parole n’est ni cachée ni éloignée de nous) se réfère à la facilité non seulement d’accomplir, mais aussi de comprendre ses mandats sans lesquels ils ne pourraient être accomplis. Cela ne doit pas non plus être compris seulement de la loi de Moïse, mais de la parole de Dieu en général. C’est pourquoi Paul l’applique à la parole de foi (Rom. 10:8*), qui ne peut être accomplie par les œuvres, mais doit être crue par la foi.
X. On dit que l’évangile est caché aux incroyants seulement (2 Cor. 4:3) et est donc clair pour les croyants, non seulement comme prêché mais aussi comme écrit. Ceci est dû au fait que les apôtres ont écrit les mêmes choses qu’ils avaient prêchées et que la clarté de l’évangile est ici opposée à l’obscurité de l’Ancien Testament (dans la lecture duquel les Juifs étaient occupés et dont Paul parle dans 2 Cor. 3:14).
XI. La perspicacité des Écritures est encore prouvée : (1) par leur cause efficace (c’est-à-dire Dieu, le Père des hommes, dont on ne peut pas dire qu’il ne veut pas ou ne peut pas parler clairement sans contester sa parfaite bonté et sagesse) ; (2) par leur conception (être un canon et une règle de foi et de pratique, ce qu’ils ne peuvent être sans être perspicaces) ; (3) par la matière (c’est-à-dire, la loi et l’évangile, que n’importe qui peut facilement appréhender) ; (4) la forme (parce qu’ils sont pour nous à la place d’un testament, contrat d’alliance ou édit d’un roi, qui doit être clair et non obscur).
XII. Les pères le reconnaissent souvent, bien qu’ils ne nient pas que les Écritures ont leur profondeur (bathē), ce qui devrait exciter l’étude des croyants. Chrysostome dit : « Les Écritures sont si proportionnées que même les plus ignorants peuvent les comprendre s’ils ne les lisent qu’avec soin » (Concionis VII de Lazaro 3[PG 48.994]) ; et « Toutes les choses nécessaires sont claires et limpides » (In secundam ad Thessalonicenses[PG 62.485]). Augustin dit : « Dans les déclarations claires de l’Écriture se trouvent tout ce qui concerne la foi et la pratique » (CI 2.9*[FC 2:72 ; PL 34.42]). Irénée dit : « Les Écritures prophétiques et évangéliques sont claires et sans ambiguïté » (Contre les hérésies 2.27*[ANF 1:398 ; PG 7.803]). Grégoire dit : « Les Écritures ont, en public, nourri les enfants, car elles servent en secret à émerveiller les esprits les plus hautains ; en effet, elles sont comme une rivière pleine et profonde dans laquelle l’agneau peut marcher et l’éléphant nager » (« Préface », Morals on the Book of Job[1844], 1:9 ; PL 75,515).
3.Sources d’explication.
XIII. L’ignorance et l’aveuglement de l’homme ne doivent pas être aggravés par l’obscurité des Écritures. La première est souvent pressée sur les Écritures, mais ce n’est pas le cas, et l’on ne peut légitimement déduire de la première que le soleil est obscur parce qu’il ne peut pas être vu par un homme aveugle. Par conséquent, si David et d’autres croyants désirent que leurs yeux s’ouvrent pour voir des choses merveilleuses hors de la loi, cela ne prouve pas l’obscurité des Écritures, mais seulement l’ignorance des hommes. La question ici n’est pas : les hommes ont-ils besoin de la lumière du Saint-Esprit pour comprendre les Écritures ? Mais les Écritures sont-elles obscures pour un homme croyant et illuminé ? Là encore, l’éclairage peut être théorique ou pratique, dans sa première phase ou dans son augmentation. David ne cherche pas correctement le premier, mais le second.
XIV. Quand on dit que le Christ a ouvert l’esprit de ses disciples pour qu’ils comprennent les Écritures (Lc. 24:45), cela signifie en effet que l’homme ne peut pas lui-même sans l’aide de la grâce comprendre les Écritures. Mais cela ne prouve pas leur obscurité, et les ténèbres dans l’esprit des disciples ne peuvent être imputées aux Écritures.
XV. C’est une chose pour dysnoēta ( » choses difficiles à comprendre « ) d’être dans les Ecritures, une autre pour anoēta ( » inintelligible « ), qui ne peut être comprise pourtant avec diligence on étudie. Pierre dit le premier (2 Pierre 3:16*), pas le second. C’est une chose de dire qu’il y a « certaines choses difficiles à comprendre » (dysnoēta tina), que nous admettons, et une autre que tous le sont (dysnoēta panta), que nous nions. C’est une chose pour eux d’être difficiles à comprendre (dysnoēta) dans la manière dont Paul prononce les épîtres, que nous nions, et une autre dans les choses qu’il prononce, que Pierre intime. Le parent (hois) ne peut se référer au mot epistolai, comme Gagnae (cf. Biblia magna commentariorum literalum[1643], 5:1067 sur 2 P 3:15) et Lorinus confesse, mais aux choses dont il traite. C’est une chose difficile à comprendre (dysnoēta) pour les personnes non instruites et instables qui, par leur incrédulité et leur méchanceté, les arrachent à leur propre destruction (que nous tenons avec Pierre) ; et c’est une chose difficile à comprendre (dysnoēta) pour les croyants qui cherchent humblement l’aide du Saint Esprit pour les chercher.
XVI. De l’obscurité de certaines parties des Écritures (c’est-à-dire des anciennes prophéties et des oracles), la conséquence n’est pas bonne pour l’obscurité de l’ensemble. Soit ces prophéties ne sont pas des choses essentielles au salut, soit tout ce qui est obscur en elles est précisé ailleurs. Ainsi, le « livre fermé et scellé » (mentionné dans Dn. 12:4 et Apoc. 5:1), enseigne en effet que les prophéties sont obscures avant leur accomplissement, mais ne prouve pas que l’ensemble de l’Écriture est si obscure qu’elles ne peuvent être comprises par les croyants dans les choses nécessaires au salut.
XVII. Bien que notre connaissance à travers les Écritures puisse être obscure comparée à la connaissance dans la gloire (où nous ne connaîtrons plus à travers un verre et sombrement, mais verrons Dieu face à face (1 Cor. 13:12*), il ne s’ensuit pas qu’elle est absolument et en elle-même obscure par rapport à notre vie présente. C’est suffisamment clair pour nous ici, car à travers elle, la face ouverte, nous contemplons comme dans un verre la gloire du Seigneur (2 Co 3, 18). (2) Paul parle de la connaissance énigmatique commune à tous les voyageurs ici, sans en exclure lui-même. « Maintenant, dit-il, nous voyons dans un miroir. » Mais les Écritures étaient-elles obscures pour Paul ? Le passage, alors, ne dénote que l’imperfection de notre connaissance dans cette vie et la différence entre la révélation de la grâce et la gloire, mais pas l’obscurité des Écritures.
XVIII. Bien que les Écritures doivent être cherchées (Jean 5:39), il ne s’ensuit pas qu’elles soient partout obscures, même dans les choses essentielles au salut. D’abord parce que nous ne disons pas qu’ils sont perspicaces pour tout le monde, mais seulement pour l’esprit attentif et le chercheur diligent. De plus, il y a besoin d’un examen minutieux parce qu’ils sont perspicaces pour celui qui cherche, car les choses les plus évidentes seront obscures pour le lecteur superficiel et imprudent. Deuxièmement, nous ne nions pas que les Écritures ont leur adyta ( » hauteurs « ) et leurs profondeurs (bathē) de mystères qui ne peuvent être perçus que par les études les plus laborieuses et les efforts persévérants. Mais il y a beaucoup d’autres choses (et ces choses essentielles) qui frappent facilement les yeux des croyants.
XIX. Bien que les apôtres n’aient pas pu comprendre pleinement la résurrection et l’ascension du Christ (Jean 16:18), il ne s’ensuit pas que les Écritures étaient pour eux obscures. Car chacun avait une connaissance suffisante pour son état et les doctrines alors révélées. Il fallait s’attendre à une révélation complète de ces derniers après la résurrection.
XX. La connaissance des Écritures peut être soit littérale et théorique (par laquelle les mots sont compris quant à la lettre et grammaticalement) ou spirituelle et pratique (par laquelle ils sont appréhendés comme vrais par la foi). Il y a beaucoup de choses dans les Écritures théoriquement perspicaces, même pour l’homme naturel. Les méchants peuvent contester le plus ingénieusement les principaux articles de la foi, mais la connaissance pratique est propre aux croyants seuls (1 Cor. 2:14, 15 ; 2 Cor. 4:3).
XXI. Les raisons de l’obscurcissement des Écritures par rapport au mode de transmission invoqué par les papistes ne peuvent pas prouver qu’elles sont si obscures dans l’essentiel du salut qu’elles ne peuvent être une règle parfaite de foi et de pratique et la nécessité de recourir à l’autorité infaillible de l’Église et de son prétendu tribunal pour obtenir leur explication. Car, outre le fait qu’il ne nous a jamais été ordonné de le faire, ils ne sont pas tels qu’ils ne peuvent être établis par une étude appropriée ; ou bien les choses contenues dans ces passages ne sont pas essentielles au salut ou bien elles sont clairement expliquées ailleurs.
XXII. C’est une chose de parler de l’obscurité absolue des Écritures par rapport à tous les âges et à tous les états de l’Église ; une autre de parler de leur obscurité comparative par rapport à un état particulier. Nous confessons que les Ecritures de l’Ancien Testament sont obscures comparées au Nouveau Testament, ainsi qu’à l’état et à l’âge de l’Eglise chrétienne ; mais cela ne détruit pas leur perspicacité en eux-mêmes et suffisamment par rapport à l’état de l’Eglise de l’Ancien Testament auquel ils ont été donnés.
Turretin.